Vous êtes ici : Accueil > Des livres, des textes ... > Quand j’avais dix ans, par André Landes > Quand j’avais dix ans par André Landes, épisode 10
Publié : 5 décembre 2021

Quand j’avais dix ans par André Landes, épisode 10


Quand j’avais dix ans, il arrivait que passe dans l’immeuble un représentant de commerce ; c’était assez rare mais je me souviens d’un "commercial" comme on dit maintenant qui avait un sacré bagout pour vendre du vin. Mais je ne pense pas que quiconque à l’Annexe lui ait acheté ou commandé quoi que ce soit.

En ce qui nous concerne, ma mère achetait le vin chez " la Mère Doc" dans des bouteilles étoilées qui devaient donc contenir un litre. C’est à cette occasion que mon père m’avait appris le rôle de l’étiquette sur les bouteilles. Ce vin là faisait 8° soit finalement 8% d’alcool, j’ai bien retenu la leçon. Ce que je ne savais pas à l’époque c’est que c’était une sacrée piquette...

J’ai le souvenir d’un autre représentant qui était passé un jour de repos de mon père gendarme et qui avait fait dans la petite salle à manger une démonstration de A à Z avec tous les accessoires d’un aspirateur Tornado.

Une merveille ce Tornado, au point que mes parents se laissèrent convaincre d’acheter cette révolution domestique sensibles sans doute au "Vous soupirez ? nous aspirons, vous respirez" , même si ce n’est pas ce vendeur qui prononça cette célèbre maxime libératrice...de la femme.

Quand j’ai appris que l’une des grandes fortunes de France, le patron de GiFi avait commencé sa carrière en faisant du porte à porte pour vendre des accessoires ménagers, je me suis demandé si ce n’est pas lui qui avait réussi à convaincre mon père plutôt sceptique de nature ...

Ce fut bien la seule innovation dont je me souvienne dans ces années d’enfance, l’eau sur l’évier et les WC intra muros étant déjà des avancées magistrales par rapport à celles passées antérieurement dans mon petit village.

La cuisinière à bois doublée d’une gazinière dans la cuisine, un Mirus à bois branché sur une cheminée de coin pour chauffer la petite salle à manger, et naturellement rien dans les chambres où l’hiver il valait mieux être pressé de se glisser sous l’édredon surpiqué.

Quand il faisait chaud au contraire, l’eau du puits remontée par la pompe automatique restait relativement fraîche, le " Frigidaire " marque sans grande concurrence restait un luxe réservé aux gens aisés et ma mère continuait comme je l’avais toujours vue faire à conserver le beurre dans un récipient en terre cuite muni d’un couvercle à trous d’aération et le long duquel on faisait couler un filet d’eau du robinet.

Au delà de la petite place sur laquelle je faisais du vélo à crécelle, passait la Route de la Charité qui longeait la voie ferrée sur deux bons kilomètres depuis le passage à niveau jusqu’aux établissements militaires de Port Sec. Une fois par an , nous regardions passer depuis notre Annexe la course cycliste qui devait faire en partie le tour de Bourges.

Et on criait sans savoir très bien lequel c’était "Vas-y Bourlon", la gloire locale de l’époque qui avait remporté comme je ne l’ai su qu’après, une étape du Tour de France quand j’avais huit ans.

J’ai surtout le souvenir de cette fois où un des jeunes cyclistes s’était "pris un gadin" mémorable juste sous nos yeux. Tout le monde s’était précipité pour le secourir et quelqu’un l’avait adossé à un des platanes qui bordaient la route.

C’est là que reparaît la jeune Madeleine, la fille du Chef qui faisait du vol à voile, vous vous souvenez ? Elle s’était empressée d’aller chez elle chercher des choses dans la pharmacie familiale et on l’avait vue faire un pansement au compétiteur malheureux.

Quelques jours plus tard le jeune homme était revenu remercier la jolie demoiselle et, dans l’Annexe, les suppositions, dont il m’arrivait des échos, y allaient bon train , suppositions sans doute parfaitement gratuites puisque un ou deux ans après Madeleine allait coiffer Sainte Catherine... Autres temps, autres mœurs, enfin presque....

Et puisque nous sommes dans les compétitions sportives, il me revient aussi qu’un matin d’hiver nous étions allés dans la nuit mon frère et moi jusqu’au passage à niveau pour voir arriver les voitures qui descendaient de la Butte d’Archelet (ou si l’on préfère la route de Paris) et participant au Rallye Monte-Carlo.

J’avais peut-être un petit peu plus de dix ans mais je me souviens bien qu’on se gelait en regardant arriver dans le brouillard ces voitures qui nous impressionnaient par leur volume, leur forme, leur bruit de moteur puissant, la nationalité très variée de leurs équipages et des noms de marques que nous découvrions et n’étaient sans doute connus que des aficionados.

Mais le plus surprenant pour moi ce jour là cela avait été la puissance de ces phares blancs qui nous aveuglaient en arrivant sur nous, les spectateurs , et qui faisaient immédiatement distinguer ces automobiles étrangères des françaises qui ne distillaient, selon la loi, qu’une lumière jaune comme agonisante.

Quand j’avais dix ans, 1949 fut l’année de la disparition des tramways de Bourges, et bien que n’allant pas souvent dans le centre ville à cette époque là, je me rappelle très bien avoir vu, en provenance de la gare, près de la place Mirpied la receveuse, munie d’une barre de fer, descendre du "tranvé" comme disait mon père, et se livrer à une curieuse gestuelle ... Elle enfonçait sa barre quelque part entre les pavés, la manipulait avec force puis remontait dans le tram qui redémarrait.

En fait, la ligne étant à une seule voie jusqu’à la gare, elle manœuvrait un aiguillage qui permettait à deux véhicules de se croiser avant de repartir en sens contraires.

C’est Monsieur Cothenet, qui était alors le maire de la ville. Il passait pour quelqu’un de très soucieux des finances de la ville comme des siennes et dépensait à ce qu’on disait le moins possible.

On lui prête même cette habitude de ramasser le crottin dans la rue devant chez lui pour fumer la terre de son jardin. Mais je ne me souviens pas d’avoir vu de chevaux dans les rues de Bourges.

En revanche j’ai dû le croiser une ou deux fois, peut être d’ailleurs quelques années plus tard, mais il impressionnait à cause des bacchantes fin XIXe siècle qu’il portait et qui me le faisaient paraître plus vieux que mon grand père pourtant largement son aîné.

Episode 11

Documents joints