Publié : 13 mars 2022

Demain - Episode 9

Chapitre 9 – Ruptang – Le Burgoud

A son retour de chez son amie une heure plus tard, Catherine ne put qu’admettre que l’extérieur de la maison s’était nettement amélioré. Grimpé sur une vieille échelle de bois, Christophe taillait les rameaux de la treille avec dextérité. Le sécateur coupait, par petits-coups secs et réguliers, les longues pousses indisciplinées. Ce n’était pas la saison mais ce travail redonnait à la fermette un aspect plus soigné.

Une partie des raisins avait fait le bonheur des oiseaux et de nombreuses grappes étaient réduites à l’état de squelettes. Au centre de la cour trônait un gros tas de mauvaises herbes, au pied d’une antique brouette déjà remplie a ras bord de branchages, feuilles et gros paquets de mousse tombés du toit. Les cailloux blancs de la cour avaient été ratissés, le trottoir balayé et les pissenlits qui avaient poussé dans les joints, arrachés.

La douceur automnale permettait de laisser la porte de la maison ouverte, remplaçant peu à peu l’odeur tenace de pièce fermée par celle combien plus agréable d’herbe fraîchement coupée.

Dans le verger, quelques fruits ridés étaient encore suspendus au pêcher, hésitant à rejoindre tous ceux qui étaient tombés autour du tronc dont l’écorce craquelée laissait suinter des larmes de résine.

Quelques dizaines de mètres plus loin le regard était attiré par les gros fruits jaune d’or du cognassier. Il fallait attendre les premières gelées avant de les cueillir.

Le lendemain, après un copieux petit déjeuner, Catherine se mit en tête de redécouvrir son domaine.

S’approchant de la haie, mitoyenne avec le parc du Claude Denisot, elle balaya du regard sa propriété qu’elle n’avait parcourue que deux fois depuis qu’elle en avait héritée. Elle admira la solidité du bâtiment, principal, celui de l’habitat construit en gros moellons de tailles inégales. S’élevant à sa perpendiculaire, des dépendances sans étage. Au faîte du toit de tuiles orangées, l’imposante cheminée, couverte d’un amusant chapeau métallique, de laquelle s’échappait une fumée transparente.

Par-delà la clôture, aux piquets éclatés, couverts de lichen, enlacés par des ronces, le pré, loué au fils du maire, gardait encore la trace de la dernière coupe. L’herbe y était couchée en bandes régulières et parallèles et séchait avant d’être mise en ballots. Dans le jardin abandonné du voisin, les graminées rivalisaient avec les hautes tiges des framboisiers où quelques baies avaient été miraculeusement préservées des oiseaux. L’horizon, masqué par une légère brume, paraissait plus proche.

– Où es-tu, s’inquiéta Christophe ?
– Ici, dans le verger.
Il la rejoignit rapidement, le visage rougi par l’air vif et les efforts déployés.
– Je te trouve fort jolie lui dit-il en l’embrassant.
– Parce que d’habitude je ne le suis pas lui répondit-elle, l’air mutin ?
– Je n’ai pas dit cela. Tu as toujours été très belle mais, aujourd’hui, l’air vosgien colore ton visage et te donne une fraîcheur d’adolescente.
– C’est un joli compliment ! Mais tu n’es pas mal non plus. Qui pourrait dire que sous cette tenue négligée, ces mains verdies, se cache mon bel infirmier ?
– Il n’y a que toi pour le savoir lui répondit-il en la prenant dans ses bras. En tout cas je me plais bien ici, même à cette époque de l’année.
– J’espère que le beau temps va se maintenir car j’ai plein d’idées en tête.
– Tu ne penserais quand même pas te lancer dans des travaux ? Tu sais ce que le toubib t’a dit : « repos, repos ». Encore un peu de patience et tu pourras progressivement reprendre ton train-train habituel.
– Ce n’est pas de travail dont je voulais te parler reprit Catherine. J’ai envie de me mettre à l’aquarelle d’autant que cette nature, ces vieilles pierres m’inspirent. A cette époque je préfère mettre l’appareil photo de côté et prendre le pinceau. Ce n’est pas ma faute si tu m’as communiqué ton virus ?
– J’admets que j’y suis peut-être pour quelque chose. En tout cas j’approuve ton idée d’autant que tes premiers essais m’ont paru prometteurs.
– Je m’y mettrai peut être demain. Tout dépendra du temps.

Elle rentra, les pieds trempés de rosée.

La pendule murale indiquait déjà 11 h 30 ! Ils n’avaient pas vu le temps passer. Elle s’était laissé surprendre mais, après tout n’étaient-ils pas en vacances ? D’autant moins pressés que l’un et l’autre pouvaient rester à Ruptang le temps qu’ils en décideraient.

En effet, Catherine avait été placée en congé de longue durée et ne devait revoir le médecin que dans deux mois. Quant à Christophe il s’était placé en congé sans solde pour pouvoir s’occuper de sa moitié. Leurs économies réciproques et l’héritage de la Louise Mangin leur permettraient de tenir plusieurs mois sans souci.

Dès que Catherine serait capable de reprendre ses activités, ils s’associeraient avec un couple d’amis, infirmiers libéraux et envisageaient même d’ouvrir, plus tard, leur propre cabinet. Le travail ne manquait pas à Lille !

La jeune femme remit une bûche dans le foyer et se mit à préparer le repas. Dans le buffet elle trouva des pâtes. Dans le placard mural, sur l’étagère réservée aux conserves, une boîte de corned-beef dont elle vérifia la date de péremption. Parmi les bouteilles du rayon supérieur elle préleva un vieux bordeaux millésimé. Tout en bas, à même le sol, les boissons sans alcool se serraient par six. Elle choisit une bouteille de Vittel.

Une demi-heure plus tard la table était dressée. Elle agita la clochette de la porte d’entrée qui ramena au logis son compagnon transpirant à grosses gouttes.

Le repas fut très détendu, marqué par des éclats de rire. Chacun avait son mot à dire sur cette propriété encore toute nouvelle, surtout pour Christophe qui allait de découverte en découverte. Tout l’intéressait mais sa jeune compagne ne détenait pas toujours les réponses aux nombreuses questions qu’il posait.

Ils prirent un temps de repos après le café, regardèrent les informations à la télé et s’endormirent sur le petit canapé qui leur tendait les bras.

Au cours de l’après-midi, Catherine se mit à la lecture, allongée dans un transat au doux soleil automnal tandis que le garçon poursuivait le désherbage des massifs. Il se sentit chez lui et aurait été mécontent que leur maison ne fut pas aussi belle que celle de la Dominique qu’il avait aperçue en arrivant.

Les heures défilèrent sans bruit. Catherine, tout à son roman, n’entendit pas Christophe arriver et sursauta lorsqu’il l’embrassa dans le cou avec tendresse.

Soudain, une voix se fit entendre :
– Alors Catherine, tu es de retour au pays ?
C’était le père Dordain qui, ayant appris l’arrivée des « Parisiens » venait les saluer en sa qualité de premier magistrat de la commune.
– Bonjour Gaston. Je vous présente mon ami Christophe, infirmier comme moi au CHR de Lille. Je suis contente de vous voir toujours bon pied, bon œil.
– A mon âge on fait ce que l’on peut répliqua le vieil homme. J’aurais tort de me plaindre. Il paraît que tu as été bien malade mais avec un infirmier comme celui que tu as choisi, tu ne pouvais que te remettre rapidement ajouta-t-il en faisant un clin d’œil à Christophe.
– Effectivement, j’ai eu un gros problème de santé mais tout est à peu près rentré dans l’ordre. Quoi de neuf au pays ?
– Pas grand-chose. L’an dernier la maison du Morisot a été achetée par des Hollandais. J’en ai été soulagé, depuis le temps qu’elle était fermée ! Quand les bâtiments ne sont plus entretenus ils sont vite par terre. Et puis, tout récemment, c’est la fermette de la Mimie qui a trouvé acquéreur : un couple avec un enfant, malheureusement trisomique. Ils viennent de s’y installer.
– La Dominique m’en a parlé ce matin.
– Les nouvelles vont vite conclut le maire en riant. Vous êtes ici pour un moment ?
– Au moins un mois répondit Christophe, peut-être plus si le temps se maintient.
– Alors nous aurons le temps de nous revoir. Reposez-vous bien !

L’homme s’éloigna d’un pas lourd. Catherine avait de la tendresse pour lui. Elle l’avait connu alors qu’elle n’était qu’une fillette. Il s’était toujours montré plein de gentillesse et attentionné ne faisant pas de distinction entre les vacanciers et ses administrés.

L’humidité et la fraîcheur s’installant, le jeune couple décida de rentrer. Il était temps car la grosse bûche de charme mise dans la cuisinière quelques heures plus tôt, était complètement calcinée. Il n’en restaient que des braises rougeoyantes qui eurent vite fait d’embrasser les morceaux de frêne que Christophe servit à leur appétit insatiable.

Avant de passer à table, Catherine voulut regarder les informations régionales. A l’instant où le téléviseur s’allumait, on diffusait un reportage sur l’affectation récente d’un gendarme féminin à la brigade de Vittel. La première femme à rejoindre l’unité de gendarmerie.

Catherine, le souffle coupé s’esclaffa en voyant apparaître en gros plan la nouvelle affectée :
– Mais je la connais. C’est Amélie Faussinart !
Christophe la regarda, les yeux interrogateurs.
– Tu l’as déjà vue ? Où ça ?
– Mais dans mon rêve, au cours de mon hospitalisation !
– Tu en es certaine ? Ce n’est pas possible ! Si c’est bien celle que tu crois tu l’auras croisée ailleurs.

C’est impossible. Le journaliste vient de dire qu’elle était native de Langres, une ville où je ne me suis jamais rendue. Et puis nous n’avons pas le même âge !

En la voyant perturbée, Christophe reprit :
– Ne va pas te faire du souci pour ça. Il arrivera bien qu’elle vienne à Ruptang un de ces jours. Tu pourras alors lui en parler. L’explication est sans doute toute bête ?
– Les médecins m’ont conseillé de rayer de ma mémoire ces événements dont je t’ai tant parlé ajoutant que toutes ces histoires étaient le fruit de mon subconscient tourmenté. Aujourd’hui je t’apporte la preuve qu’il me semble avoir fait un pas dans le futur ; que j’y ai vu des choses qui surviendront prochainement. Ne me demande ni pourquoi ni comment. Tout est encore trop flou. Mais j’ai la certitude que plus d’un événement se réalisera. Si tu savais comme cela me tourmente. J’aimerais tellement retrouver une totale quiétude d’esprit.

Emu, Christophe la serra contre lui.

– Sois certaine que je te comprends. Mais avoue qu’il n’y a rien de rationnel dans tout cela. D’un autre côté il y a bien des gens qui ont le pouvoir de prédire l’avenir. J’en ai connus. Peut-être as-tu, toi aussi, reçu ce don ?
Catherine restait persuadée qu’elle avait raison. Elle pressentait, qu’avant peu, un drame surviendrait à Ruptang. Serait-elle la victime du Trouchet ? Le jeune trisomique aurait-il le temps d’intervenir avant qu’elle ne soit violée ? Le cultivateur se pendrait-il dans son étable ?

A moins que ce soit tout à fait autre chose ? Elle se mit à trembler et les larmes coulèrent.

Chapitre 10

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