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Publié : 23 août 2020

Le silence des étoiles - chapitre 16

Chapitre XVI - Ruptang : Nathalie rencontre le maire

Chapitre 16 – Ruptang août 2008 : Nathalie rencontre le maire

Relevant la tête, Nathalie eut la surprise de tomber nez à nez avec le Gaston Dordain. Sans âge, mais déjà octogénaire, il parlait lentement, avec l’accent local, et paraissait avoir la sagesse que l’on accorde volontiers aux anciens. Vêtu d’une chemise à manches courtes dévoilant des bras solides, d’un pantalon de toile grise et de lourdes chaussures noires, il protégeait sa tête chenue, par un drôle de petit chapeau qui accentuait encore son visage naturellement jovial. Il avait de larges mains calleuses qui avaient toujours impressionné la jeune fille.

- Et bien, on joue aux indiens ? lui demanda le vieil homme sur un ton moqueur.
- Excusez-moi ! Je ne vous avais pas vu ! Bonjour Gaston ou plutôt M. le maire. Vous me reconnaissez je suppose : Nathalie Malère, répondit-elle embarrassée.

- Mais bien sûr. Malgré ta longue absence je n’ai pas oublié ton visage ! Continue à m’appeler par mon prénom, comme autrefois. Les nouvelles fonctions, que j’assume depuis trois mandats, ne m’ont pas fait tourner la tête ! Comme tu as changé ! Tu as embelli ! Te voilà devenue une femme !
- A plus de trente ans, quoi de plus normal ? Mais ne me faites pas trop de compliments, vous allez me faire rougir !

- Je t’ai connue toute petiote, souviens t’ en ; pour moi qui n’ai jamais eu d’enfant tu pourrais être ma petite-fille ! Tu sais, j’ai appris, par la Louise, le terrible drame au cours duquel tes parents et ta sœur ont péri.
- Ben oui. C’est le plus grand malheur de ma vie. Chaque fois que je l’évoque, j’en suis toute retournée.
- On m’a dit que la voiture se serait écrasée contre un pylône, en ligne droite ?
- C’est bien cela, mais ce que je n’ai jamais osé dire à « Tatie » c’est que le véhicule a immédiatement pris feu après le choc. Les secours n’ont rien pu faire et on n’a retiré des tôles que des corps carbonisés.

- Quel malheur ! Une famille si unie ! Et qui conduisait ?
- C’était Catherine. Elle avait pourtant la maîtrise de la « 405 » ! Personne n’a rien compris à cet accident.

- Que fais-tu maintenant ?
- Je suis infirmière au CHR de Lille.
- Tu n’es pas mariée ?
- Pas encore. Le destin n’a pas encore mis le prince charmant sur ma route mais je ne désespère pas de le trouver !

- Je m’attendais à te voir un jour ou l’autre. Maître Ségard est passé à la maison pour m’en avertir il y a quelques semaines. Tu es là pour longtemps ?
- Jusqu’à la fin du mois, je pense.

- Ça me fait plaisir. J’espère que tu prendras le temps de me rendre visite ? Nous pourrons discuter davantage. Mais au fait, que faisais-tu dans ma propriété ?
- Votre propriété ?
- J’ai acheté en viager la maison et le pré attenant à l’Antoine Ribot. Il est décédé il y a 3 ans. Ce n’est pas pour la maison, comme tu peux le voir elle est dans un triste état. Il faudrait énormément investir pour pouvoir la louer et encore je ne suis pas certain que je trouverais un amateur ! C’est pour les prés. J’ai gardé quelques chevaux et ça me fait du foin pour l’hiver.

- Excusez-moi M. le maire, euh, Gaston. J’ignorais que nous étions désormais voisins. J’ai pris la liberté de pénétrer dans votre pâture car, depuis deux jours que je suis arrivée, j’ai la certitude que quelqu’un m’observe de votre terrain.

- Ne cherche pas ; je l’ai croisé en montant. C’est le gamin à la Francine et à l’Edmond Poucheret, des nouveaux, installés au village depuis le printemps dernier. Ils n’ont qu’un fils et il est trisomique ! C’est un malheur, de si braves gens ! Le gosse- Antoine qu’il se nomme- court sur ses seize ans et tu auras l’occasion de constater qu’il y a plus idiot que lui. Il a une excellente mémoire, sait se débrouiller pour bien des choses. Par contre on a du mal à le comprendre. Il faudrait qu’il soit placé dans un établissement spécialisé pour développer son autonomie et améliorer sa diction. Un dossier est en cours. Tout ça pour te dire qu’il n’y a rien à craindre de lui. Il aura vu la maison ouverte et sera revenu. Du temps de la Louise, il lui rendait régulièrement visite. Il a eu beaucoup de chagrin lorsqu’elle est morte. Que veux-tu, c’est comme ça !

- Je suis rassurée. Je pensais avoir affaire à un voyeur ! Encore une question et je ne vous embête pas davantage : savez-vous qui entretient la maison et le verger ?
- J’ai vu l’entreprise de parcs et jardins Noerme, de Gourbon, venir à maintes reprises et puis aussi le grand Noël Poitier de Virey. C’est un artisan-peintre.
- Personnellement je n’ai rien demandé, vous devez bien vous en douter. Je n’ai pas les moyens de payer des artisans.
- Je serais de toi, je poserais la question au notaire. Il doit bien être au courant ? ajouta-t-il l’ œil malicieux.
- Justement, je me proposais de le faire cet après-midi.

Au fait, M. le maire, connaissiez-vous Ludivine Percheret ?
- Bien sûr. Elle était du pays. La malheureuse est décédée le mois dernier ?
- C’est pour cela que je vous en parle. J’étais à ses côtés, dans une auberge de Vittel, lorsqu’elle a rendu l’âme. Vous parlez d’un choc, c’était une amie de jeunesse que je retrouvais après plus de quinze ans !
- Je me souviens bien de l’équipe que vous faisiez tous les six : La petite dont tu viens de parler, la Karine Duroy, le Pierre Berger, le Joël Dampierre, toi et puis….
- Le Jean-Claude Quertond.
- Oui, c’est bien cela. J’avais oublié son nom. As-tu appris que lui aussi est mort ?
- Ah bon s’étonna Nathalie. Et il y a longtemps ?
- En automne il y a deux ans, peut être trois. Je n’en suis plus tout à fait certain. Par moment la mémoire me fait défaut. Figure-toi qu’il se serait empoisonné avec des champignons de bois. Pourtant, depuis le temps qu’il en ramassait… !
- Il était marié ?
- Marié et papa d’un petit garçon. Sa femme n’est pas d’ici.
- Et où habitaient-ils ?
- A Vittel. Il travaillait comme contremaître à la société d’embouteillage.
- Décidément ! Voilà une mauvaise nouvelle de plus. J’ai gardé de bons souvenirs de lui, du moins du temps où nous n’étions encore que des enfants.

Et la Ludivine, que lui était-il arrivé ?
- Tu veux parler de sa brûlure ? C’est pas trop clair. Elle a toujours dit que c’était un accident du travail. D’autres ont affirmé qu’elle avait été agressée.
- Comment ça ?
- Je n’en sais trop rien. Si cette seconde version est la bonne, celui ou celle qui a fait cela n’a pas raté son coup ! Mais la Ludivine, à croire qu’elle avait des choses à se reprocher, car elle n’a jamais rien fait pour que la justice s’en mêle.

- Je ne voudrais pas me montrer médisante mais lorsque nous avions seize ans, elle était assez déconcertante. Elle subjuguait les garçons par sa beauté naturelle : sveltesse, cheveux blond vénitien, grands yeux malicieux, éternel sourire. Sans compter un maquillage excessif et un choix de vêtements qui auraient pu tromper n’importe qui sur son âge réel. Elle semblait vouloir conquérir toute la gent masculine du village, adolescents comme hommes mûrs, célibataires ou mariés, rien ne l’arrêtait ! Cependant, c’était une fille gentille, attentionnée aux autres. Comme disait la Tatie Louise, elle était capable du meilleur comme du pire ! Qu’elle ait été victime de la vengeance d’ une épouse trompée n’est pas n’est pas à exclure. Enfin, je peux me tromper.
- La jalouisie peut mener aux pires extrêmités ! Mais le saura t-on jamais ?

Puisque nous évoquons les décès, as-tu appris celui de la Karine Duroy, survenu il y a huit mois ?
La Karine ? Elle aussi ? Mais c’est effroyable ! Si je m’attendais à une telle hécatombe parmi mes anciens amis !
- Hélas !
- Je l’avais prise en amitié car elle n’avait pas la vie facile chez ses parents.
- Les choses n’ont guère changé en vieillissant, je dirais même qu’elles se sont encore dégradées. Elle était mariée à un bon à rien de Voibey qui lui menait la vie dure. Une espèce de demi-fou, pourri d’orgueil, buveur invétéré qui lui en faisait voir de toutes les couleurs. On l’a retrouvée dans le puits de leur maison. L’enquête a conclu à un suicide bien qu’elle n’ait laissé aucun écrit expliquant son geste ! Dans son malheur elle n’avait pas de descendance, heureusement !

- Tout cela est bien triste ! Voilà « la bande des six » aujourd’hui réduite à trois. Je n’en reviens pas !
- Ce n’est pas à toi que je vais apprendre que la vie n’est pas un long fleuve tranquille ! La mort ne choisit pas toujours les plus âgés, la preuve c’est qu’à quatre-vingt-sept ans je suis toujours là ! ajouta le père Dordain, soudain pensif.

- J’espère que vous nous resterez longtemps encore, dit-t-elle en essuyant discrètement une larme.

chapitre 17

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