Vous êtes ici : Accueil > Des livres, des textes ... > Le silence de étoiles, de Jean-François Dupain > Le silence des étoiles - chapitre 11
Publié : 15 juillet 2020

Le silence des étoiles - chapitre 11

Chapitre XI – Amélie chez le légiste

Chapitre 11 – juillet 2008 – Epinal : Amélie chez le légiste

A 10 h précises, le « Partner » de la brigade se gara dans la cour de l’hôpital.
- Nous sommes attendus à la morgue, lança le gradé à la personne chargée de l’accueil.
La secrétaire regarda, interrogative, la femme qui accompagnait son interlocuteur tant elle lui parut frêle et jeune.
- Une nouvelle recrue ! Je préfère être à ma place qu’à la sienne !

L’ascenseur amena rapidement les deux militaires dans le sous-sol de l’établissement. De faibles lumières éclairaient un couloir sombre, aux peintures écaillées, que le chef Sermina paraissait bien connaître. Il se dirigea vers la porte n° 8 et frappa.

Un homme, d’apparence négligée et décontractée, fumant une cigarette roulée, les fit entrer. Vêtu d’une blouse blanche tachée de traces brunes il regarda Amélie avec un sourire narquois.
- Je ne vous ai jamais vue jeune fille ? dit-il. Serait-ce votre première autopsie ?
- Oui, monsieur, répondit-elle, la voix mal assurée.
- Je suis le Dr Tandenois. N’ayez pas peur. Les morts ne font pas de mal et je m’entends fort bien avec eux, même avec ceux que je suis contraint d’ouvrir. C’est pour la bonne cause.
- Le gendarme Faussinart n’assistera qu’au descriptif du corps. Comme c’est la première fois …. Ajouta le gradé.
- Je comprends, rétorqua le légiste.

Amélie sentait ses jambes se dérober. Il lui était arrivé d’aller voir des films glauques où des scènes violentes ou choquantes émaillaient la projection. Mais son esprit lui rappelant que tout cela n’était que du cinéma, elle était restée stoïque alors que d’autres criaient, épouvantés. Aujourd’hui, tout était différent. Elle se retrouvait face à une triste et morbide réalité.

Tout, ici, était nouveau pour elle.

Les murs étaient couverts de carreaux de faïence blanche jusqu’au plafond. La pièce, glaciale, était dépourvue d’éclairage naturel. Quatre grands néons diffusaient une lumière froide et verdâtre. L’atmosphère était moite, collante, presque palpable, et une odeur légère mais tenace de décomposition, d’éther et de désinfectant prenait aux narines. Malgré elle, elle frissonna et réprima un haut le cœur.

Le chef Sermina, qui paraissait plus à l’aise qu’elle, passa derrière le paravent d’entrée qui occultait partiellement les lieux. C’est alors qu’Amélie découvrit la dépouille mortelle de Ludivine Percheret.

Allongée sur une table en inox, les yeux maintenant fermés, les bras le long du corps, elle avait un teint grisâtre qui se tâchait de marbrures sombres, peu esthétiques.

- Bon, dit le médecin à son assistant qui était resté en retrait, nous allons dévêtir la victime et vous enregistrerez la description que je vais vous en faire.
- O.K. toubib !

Dans un brouillard qui occultait à la fois sa vue et son ouïe, Amélie entendait les ciseaux qui coupaient les tissus avec une lenteur méthodique, sans autre bruit que celui du métal sur l’étoffe.

Le médecin, blasé, le mégot aux lèvres, se livrait à l’inventaire détaillé des vêtements.
- Un sweat blanc de taille 42, de marque « Candy » ; un « pantacourt » de même couleur avec fermeture éclair à chaque jambe, en leur partie inférieure. Pas de taille visible ni de marque. Un soutien-gorge couleur chair, de marque Triumph, et un slip assorti. Aux pieds, une paire de socquettes blanches lignées de bleu et des tennis rouges.
- Avez-vous bien noté Gérard ?
- Pas de problème ! s’entendit-il répondre.
- Par ailleurs je constate que la jeune femme porte une boucle d’oreille au lobe droit. Il s’agit d’un anneau doré agrémenté d’un brillant. Le lobe gauche en est dépourvu bien que l’oreille soit également percée.
- Elle l’aura peut-être perdu en tombant, suggéra Sermina ?
- C’est bien possible, renchérit le praticien.

- Je vais maintenant procéder à l’examen du corps. La victime est âgée d’une trentaine d’années, cheveux châtain clair masqués par une perruque brune….

Amélie ne pouvait détacher son regard de cette pauvre enveloppe charnelle que la mort commençait à dégrader. Un corps qui, quelques jours plus tôt avait été embrassé, caressé, qui s’était offert mais aussi un visage qui avait souri, pleuré. Un être humain qui, en cet instant, n’était plus rien qu’une triste dépouille.
Que lui était-il arrivé pour que sa beauté ait été détruite à jamais par l’horrible brûlure ? Car, bien que peu expérimentée, la jeune militaire était sceptique quant à la thèse de l’accident professionnel.

A l’appel de son prénom elle se secoua comme un chien qui s’ébroue, reprenant contact avec la réalité. Elle n’était pas là pour philosopher mais pour faire son métier. Pour un peu elle allait en oublier le poing fermé. Elle entendit :
- Ça va Amélie ?
- Oui, chef, un peu secouée mais ça va.

Elle regardait le Dr Tandenois, qui, impassible, poursuivait sa funèbre description. : « Ludivine Percheret tient le poing droit fermé tandis que la main gauche est naturellement ouverte. On ne constate sur le corps aucune trace de violence… »
- Attendez Gérard, n’écrivez pas ! Il faut que je vérifie quelque chose. Approchez, Sermina, et vous aussi jeune fille, dit le Dr Tandenois. Regardez ici, dans la pilosité du pubis, il me semble voir un point foncé. Passez-moi un rasoir Gérard.

Méticuleusement le vieux praticien se mit à raser la toison claire, laissant apparaître un petit tatouage en forme d’étoile de David ; six points reliés entre eux en déterminaient le contour.
- Puis-je le prendre en photo docteur ? demanda Amélie qui manifestait à nouveau de l’intérêt pour l’enquête.
- Mais bien sûr. Je ne sais pas ce que ce détail peut vous apporter mais vous êtes seule juge en la matière. En tout cas c’est du travail d’amateur !

Le flash du Nikon crépita deux fois, enregistrant sur la carte mémoire la partie intime de la défunte.

- Excusez-moi docteur, est-il possible d’ouvrir le poing de Ludivine ? J’aimerais savoir ce qu’il contient ajouta à nouveau Faussinart.
- J’allais y venir car je vous vois impatiente de savoir.

Le praticien déplia un à un les doigts qui avaient perdu toute souplesse tandis que la jeune enquêtrice et son supérieur se penchaient sur la main maintenant ouverte qui dévoilaient des fibres brunes !
- Des cheveux murmura Amélie ! Aurait-elle été agressée ?
- Pas si vite jeune fille. Regardez bien cette brillance, cette texture ! Touchez-les. Ce sont des fibres synthétiques. Manifestement elles proviennent de la perruque !
La déception qui se lisait sur le visage d’Amélie n’échappa pas au chef Sermina. Sa collègue avait cru trouver un élément déterminant pour l’orientation de l’enquête mais ce n’était apparemment qu’un leurre.

- On ne peut pas gagner à tous les coups et, après tout, pourquoi voulez-vous privilégier le crime alors qu’il s’agit vraisemblablement d’une mort naturelle ajouta Jacques Sermina ?
- Le sixième sens !
- Cette fameuse intuition féminine ! On verra si l’avenir vous donne raison ajouta l’ homme avec un sourire moqueur.
- Gérard, aidez-moi à retourner le corps !
La poursuite de l’examen ne révéla rien de particulier.

- Voilà, dit le praticien à l’adresse d’Amélie. Si vous ne vous sentez pas suffisamment forte pour assister à l’autopsie, je vous conseille de sortir. Ce ne sera pas trop long.
- Qu’allez-vous faire docteur ? demanda, intriguée la jeune enquêtrice.
- Voir ce qu’elle a dans l’estomac et en faire analyser le contenu puis vérifier si elle a bien fait une crise cardiaque.
- Quand aurons-nous le résultat ?
- Dans deux ou trois jours mais le rapport sera remis au Parquet…..

Comme elle se rendait dans la salle d’attente, elle croisa deux militaires de la brigade des recherches, apparemment en retard, un attaché-case et un gros appareil photo à la main. Ils se saluèrent rapidement.

Après une heure passée à attendre, Amélie vit arriver, avec soulagement, son collègue. Ils reprirent aussitôt la direction de Vittel.
A peine avaient-ils poussé la porte vitrée du bureau qu’Amélie s’entendit interpeller par le commandant de brigade.
- Alors Faussinart, cette autopsie ?
- Bah, ce n’est pas ce que je préfère ... Et encore n’ai-je participé qu’à l’examen du corps !
- En avez-vous retiré quelque chose ?
- Presque rien
- Mais encore ?
- J’admets que mon intuition m’a trahie. Le poing fermé de Ludivine Percheret ne contenait que quelques cheveux de sa perruque. Ce qui ne m’avance pas beaucoup ! Cependant nous avons découvert qu’elle s’était fait tatouer une étoile sur le pubis.
- Drôle d’endroit pour y faire un dessin ! C’est bien les femmes ! Et ça vous mène à quoi ?
- A rien pour le moment. Mais on ne sait jamais. Le toubib doit fournir au Parquet le résultat de ses constatations et des analyses du labo sous trois jours. Attendons la suite !

- Vous, on peut dire que vous êtes têtue. Lorsque vous avez quelque chose dans la tête… Il s’arrêta brusquement, un peu gêné.
- Je ne sors pas du couvent vous savez, je connais la suite ! Vous avez raison, ce que j’ai dans la tête je ne l’ai pas ailleurs, reprit-elle en riant.

chapitre 12

Documents joints